Conférence donnée par Stéphane Goldet,
le 30 mai 2016, au Cercle National Richard Wagner – Paris
Auteure de Hugo Wolf, paru chez Fayard en 2003, Stéphane Goldet est la conférencière idéale pour nous parler de ce musicien mal connu en France, et nous en faire apprécier toute la singularité !
Hugo Wolf est, par excellence, un compositeur de Lieder. Il a certes composé aussi un opéra, El Corregidor, raté, trop lourd et trop long. Après Richard Wagner, comment écrire un opéra ? C’est le problème de tous ces compositeurs « modernes », admirateurs inconditionnels du Maître… Wolf avait écrit des Lieder sur des textes d’Eduard Mörike, Joseph von Eichendorff, Goethe, tous les grands poètes allemands. Mais il ne voulait pas utiliser de poèmes sur lesquels d’autres ont déjà posé de la musique ! Il tourna résolument le dos à l’Allemagne, et s’intéressa ensuite à l’Espagne, puis à l’Italie, pays que tous les artistes se devaient de visiter, à la fin du XIXe siècle. Lui ne fera de voyage qu’imaginaire, à partir des poèmes italiens traduits par Paul Heyse, poète et romancier célèbre en son temps. Heyse a collectionné des petits poèmes populaires (parfois savants, voisins de Boccace), souvent humoristiques.
Wolf va composer, en 1890, puis en 1896, deux recueils qui formeront un total de 46 Lieder. Tous sont très courts, rarement plus de huit lignes, dépourvus de titre. Ce sont des saynètes, de mini-opéras en une minute, souvent des adresses amoureuses à un partenaire bien présent. Certains sont écrits pour un homme (17), d’autres pour une femme (19), dix autres peuvent être interprétés indifféremment par un chanteur ou une chanteuse. À noter que certains chanteurs, à commencer par Dietrich Fischer-Diskau, se sont emparés de compositions pour voix de femme qui leur plaisaient. Mais, un récital ou un enregistrement de ce recueil en version intégrale demande la présence de deux interprètes (parmi les plus récents : Angelika Kirchlager et Florian Boetsch, avec Malcolm Martineau au piano, chez La DOGANA, éditeur suisse). L’interprétation est très difficile, puisqu’il faut trouver la couleur émotive juste en quelques phrases, et qu’il n’y a aucune continuité narrative en passant d’un morceau à un autre. Mais, une fois ce défi relevé, quelle aisance acquise pour interpréter tous les autres Lieder du répertoire !
Nous écoutons une douzaine de ces Lieder, commentés par la conférencière, qui nous fait apprécier ce saut qualitatif avec le Lied romantique allemand. Il y a déjà la durée : ces Lieder durent une minute à peine (entre le tiers et le quart des Lieder habituels). Un Lied repose toujours sur un souvenir, on revient sur le passé : Wolf est, ici, dans le présent. Les grands cycles, de Schubert, par exemple, sont la vision d’un homme (ou d’une femme) exclusivement ; pour l’Italienisches Liederbuch, il faut obligatoirement un chanteur et une chanteuse. Dans l’univers du Lied romantique traditionnel, les femmes sont de douces victimes : dans les Lieder italiens de Wolf, elles savent ce qu’elles veulent, et l’une d’entre elles nous gratifie de la version féminine de l’air du catalogue (Don Giovanni). Enfin, le paysage, si important d’habitude dans le Lied, est ici absent. On est bien sur une scène, et même presque comme au cinéma, parfois en « plan serré » (n° 17 et 18).
Bref, en excellent Wagnérien qu’il est, Hugo Wolf met en pratique la leçon de Hans Sachs : il invente sa propre règle, et la suit. Et, à partir des textes originaux (en italien), on peut voir, outre le « partage des rôles » assez équilibré (17 Lieder masculins – 19 féminins), qu’il n’est pas rare de voir la femme prendre l’initiative (n° 6, 12, 31, 46, etc ?). Ce n’est pas la moindre des originalités de Wolf d’avoir ainsi présenté sa sélection italienne : l’homme et la femme sont ici à armes égales, si l’on peut dire ! Bien plus qu’un homme de son temps, voilà qui fait de lui un homme de notre temps !
Anne Hugot Le Goff