C’est grâce à la bourse du Cercle National Richard Wagner de Paris que j’eus l’immense chance de découvrir le Festival de Bayreuth en août 2004, et je ne remercierai jamais assez M. Pierre-Louis Cordier et tous les membres qui s’y sont associés.
Parti très tôt de Paris le 3 août, j’effectue le voyage en train, et après deux correspondances à Stuttgart et Nuremberg, arrive à Bayreuth en fin d’après-midi. J’y rencontre aussitôt d’autres boursiers, certains logeant dans une résidence assez éloignée du centre-ville, d’autres (ce qui est mon cas) se rendant à l’hôtel, idéalement situé car proche du Festspielhaus. Je profite de ma première soirée pour me replonger une dernière fois dans les livrets avant les représentations de Tannhäuser, Der fliegende Holländer et Parsifal. L’accueil officiel des 250 boursiers a lieu le lendemain à la Stadthalle, où nous sont distribués tickets repas et places de concerts. Nous assistons à une conférence du pianiste Detlev Eisinger, entièrement en allemand et donc difficile à comprendre pour le non-germanophone que je suis, mais dont les quelques exemples musicaux me font saisir l’essentiel. La conférence d’Eisinger a pour but de présenter Tannhäuser et s’articule autour de la transcription de l’ouverture par Liszt.
Le premier repas organisé permet de faire connaissance avec de nombreux boursiers, dont quelques Français. Je rencontre ainsi les boursiers envoyés par les Cercles du Gard, de Toulouse, Bordeaux et Strasbourg. Il fait un temps magnifique à Bayreuth, et je profite du début d’après-midi pour faire un repérage de la ville.
C’est à 16 heures qu’a lieu la représentation de Tannhäuser. La direction de Thielemann est souple, l’orchestre ample mais jamais lourd, comme on aurait pu le craindre d’un chef se réclamant de « la grande tradition germanique ». Les chœurs sont d’une homogénéité incroyable, et la mise en scène du français Philippe Arlaud nous offre de beaux tableaux. Le rôle-titre revient à l’américain Stephen Gould, qui connut un grand succès, mais l’on retiendra également les belles prestations de Judith Nemeth (Venus) et Kwangchul Youn (Landgrave).
Le lendemain, nous allons à la rencontre de Wolfgang Wagner, qui après avoir répondu non sans humour de sa voix essoufflée aux questions des boursiers, nous fait visiter la scène, la cage de scène et la fosse, ce dernier moment nous faisant réaliser l’importance du dénivelé pour l’orchestre. Après avoir visité Wahnfried, nous assistons à la représentation du Fliegende Holländer, dont la mise en scène de Claus Guth se veut très novatrice, en insistant sur les rapports psychologiques entre protagonistes. Daland et le Hollandais se renvoient leur image, habillés de costumes similaires. Senta est mise en relation avec son double, une petite fille symbolisant sa jeunesse. Le dénouement, plein d’humour, voit Senta hystérique, prisonnière de son rêve, car ne pouvant rejoindre son amour. Suite à la représentation, nous allons tous à la Résidence où nous attend un copieux buffet, la soirée se terminant fort tard avec un concert improvisé des boursiers autour du piano.
Le 6 août, je débute ma journée en allant écouter la conférence de Stephen Mickisch, pianiste remarquable au toucher délicat. Je prends conscience de la relative « pauvreté » de la première conférence de Detlev Eisinger. La comparaison est inévitable. Eisinger axait toute sa conférence autour de la seule transcription de l’ouverture de Tannhäuser, Mickisch, lui, balaye tout Parsifal, nous inonde d’exemples musicaux, tend des passerelles avec de nombreux compositeurs ayant influencé Wagner, et explique avec beaucoup d’habileté la complexité de son langage harmonique. Tout cela réalisé par un pianisme magnifique, d’une clarté polyphonique nous faisant oublier les limites de l’instrument.
Après une première de Parsifal au « léger » parfum de scandale, et suite à tous les échos entendus ici et là sur la fameuse mise en scène du jeune Christoph Schlingensief, c’est avec impatience que je me rends au Festspielhaus. Effectivement, on assiste à une sorte de fourre-tout qui ne facilite pas la bonne compréhension de l’intrigue, et qui par ses excès, nous fait malheureusement oublier l’essentiel en allant à l’encontre de la musique. La symbolique est douteuse (le Graal est un lapin vivant dans une cage, censé représenter la fécondité recherchée par les chevaliers), et le plateau surchargé, notre œil ne sachant où se diriger tant l’espace scénique est un vaste bazar. De plus l’abus de projections, après avoir contribué à un certain esthétisme, finit vite par nous lasser. La direction de Boulez est limpide, presque épurée. Optant pour des tempi vifs et une grande clarté de timbres, Boulez retient l’orchestre pour mieux le faire exploser en de rares sommets. Interprétation magnifique et tellement différente de celle, fougueuse et emportée de Thielemann dans Tannhäuser. Le ténor Endrick Wottrich dans le rôle-titre, malgré une belle prestation, paraît écrasé par le charisme de Robert Holl (Gurnemanz),Kwangchul Youn (Titurel) et John Wegner (Klingsor), aux voix souples et puissantes.
Ainsi se terminait mon séjour à Bayreuth,ponctué de concerts d’une exceptionnelle qualité,et qui restera l’un des sommets de mon jeune parcours musical.
François Lambret