Mots-clés : Bayreuth, Faust, Mikael Haneke, mise en scène, Mozart
Ce sujet a 2 réponses, 2 participants et a été mis à jour par Von Tronje, il y a 7 ans et 8 mois.
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17 octobre 2016 à 15 h 22 min #1220
S’il est bien un sujet polémique, c’est l’importance prise par le metteur en scène….. On peut monter une production sur son seul nom; il se croit tout permis -et parfois au détriment de la musique. Ceux d’entre vous qui fréquentent assidûment Bayreuth sont souvent revenus, ces dernières années, en jurant qu’on ne les y reprendrait plus. Je ne suis pas une pratiquante régulière , mais je me souviens quand même d’y avoir vu, il y a quelques années, un Parsifal qui se déroulait dans un dépôt d’ordures…..
Ce problème de la mise en scène est supposé être lié à l’irruption sur la scène lyrique des jeunes (plus si jeunes maintenant d’ailleurs….) gens du Regietheater. Venus du bloc de l’est pleins d’acrimonie envers les bourges de l’occident, soucieux avant tout de les scandaliser….. (Oubliant que Brecht se souciait plus de convaincre que de choquer) Je crois surtout que le marché de la mise en scène n’est pas si éloigné que ça du marché de l’art ; il y a des cotes qui montent, sans qu’on sache très bien pourquoi (au moins, dans le marché de l’art, on connaît les gens qui tirent les ficelles): le plus surfait étant, évidemment, l’exécrable Warlikowski, l’homme qui sème des urinoirs derrière lui plus vite que le petit Poucet ses cailloux blancs. J’ai vu nombre de ses mises en scène : je n’y ai jamais trouvé l’ombre du commencement d’un intérêt. Je lui décerne bien volontiers le Jeff Koons d’or de la mise en scène.
Mais on voit aussi nombre de mises en scène confiées à des mains d’amateurs. Un exemple récent. Il y a quelques semaines, les media nous avisent de ne pas rater, à la télévision, la retransmission en direct de l’Opéra de Rome de la Traviata de Coppola-Valentino. Glups ? Ki ki c’est, Coppola-Valentino ? Un nouveau jeune compositeur ? Ben non ! Il fallait juste comprendre que la mise en scène avait été confiée à deux pipeules patentés, Sofia Coppola et le couturier Valentino. Ce qui justifiait, n’est ce pas, que le nom de Verdi n’apparaisse nulle part, pas plus d’ailleurs que celui du chef ou des chanteurs…. J’imagine que Valentino Garavani, comme tous les italiens cultivés de sa génération, pratique assidûment l’opéra. Mais mademoiselle Coppola nous avoue tout benoîtement que, pappy était chez d’orchestre, papa écoutait tout le temps de l’opéra mais elle, non vraiment, elle n’y connaît rien. Alors, qu’on ils fait, tous les deux ? Du rien. Du rien aimable, certes, agréable à regarder, mais du rien quand même.
Bref, le sujet est suffisamment brûlant pour que Christian Merlin y ait consacré, non pas une, mais deux conférences dans le cadre de la passionnante série sur l’Opéra qu’il donne, tous les mardi, au Théâtre des Mathurins. Sans doute a-t-il été un brin déçu ? Il s’attendait à se faire huer et à ressortir en chaussettes, eu égard à ses positions avant-gardistes…. Même pas !!
Pour moi, le metteur est quand même le pivot du spectacle lyrique. Car le metteur en scène c’est le passeur ! Devant un public plus vaste que les aficionados professionnels (nous autres, membres du CNRW par exemple), devant des opéras qu’on exhume alors qu’ils n’ont pas été donnés depuis cinquante ans, et même si la généralisation des surtitres leur a un peu volé le travail, les metteurs en scène sont là pour nous expliquer que non, l’opéra ce n’est pas juste un méchant baryton qui empêche un gentil ténor d’enlever une jolie soprano mal gardée par une vieille mezzo, et que si la musique nous touche et nous bouleverse c’est parce qu’elle aide à formuler un mythe, un grand problème social, humain ou politique, une vérité universelle qui peut être cachée par les oripeaux de la convention ou de la bienséance (on y reviendra).
Et le grand metteur en scène est celui qui arrachera les dentelles, qui enlèvera le maquillage pour revenir à l’os. Il n’y a donc pas de mise en scène traditionnelle ou moderniste : il y a des mises en scène bonnes ou mauvaises. Point. Si Faust, si Carmen nous touchent tant, ce n’est pas à cause des espagnolades ou des diableries. C’est parce que ce sont des histoires de notre temps. Faust, le prof de fac nobélisable qui ne pense qu’à sauter ses petites thésardes, le dr. miracle avec ses seringues pleines de cellules fraîches, les visions sous l’emprise du LSD…. Naturellement, ce serait très réducteur de résumer le grand Goethe à cela, mais c’est aussi cela.
Quant à Carmen: je me souviens d’une mise en scène de l’ère Liebermann … Une distribution de rêve, Domingo, Raimondi, je pense que c’était le joli petit météore blond, Katia Ricciarelli, qui chantait Michaela….. Et Thérésa Berganza donc, en robe flamenco –y avait bien cinquante mètres de tissu à pois, battant du Rimmel et de l’éventail, où était Carmen là dedans ? Elle était absente. N’importe quelle maigrichonne effrontée, en jean troué et piercings partout, aurait mieux fait l’affaire. Carmen, c’est une histoire d’aujourd’hui ! avec CRS et trafiquants de shit ! Carmen c’est une histoire de lutte des classes, Don José c’est un petit bourgeois qui raisonne en comptable « avec tout ce que j’ai fait pour toi, t’as pas le droit de me quitter »
Et c’est peut être avant tout chez Mozart que le bon goût et l’élégance ont trop souvent occulté la cruauté. J’en viens à ce qui est pour moi la plus grande réussite dans la mise à plat d’un opéra: Don Giovanni vu par Mikael Haneke. D’une intelligence, d’une justesse inouïe. Christian Merlin a dit qu’elle ne fonctionnait qu’avec Peter Mattei : c’est faux. Elle ne fonctionnait pas avec Erwin Schrott parce qu’il tirait son personnage vers le voyou (comme souvent), donc tout s’écroulait. Grand seigneur, méchant homme : les deux propositions ont la même importance. Si vous faites disparaître le grand seigneur, il n’y a plus de pièce. Mais si vous faites disparaître le méchant homme, c’est pareil ! Dans les années soixantehuitardes, nombre de mises en scènes faisait du Don un homme moderne, un libérateur, tout ça parce qu’il chante Viva la liberta et saute tout ce qui bouge ! Contresens total. Mozart détestait Don Giovanni. La preuve ? Il ne lui a pas écrit de musique ! Une canzonetta italienne, une chanson à boire, tu parles –même le fade Ottavio est mieux servi. Mozart, obligé de faire le larbin pour des capricieux qui trouvaient qu’il n’écrivait pas assez de notes ou trop de notes, détestait tout ce qu’ils représentent, évidemment. Grand seigneur méchant homme : c’est ce que nous montre Hanneke. Il nous restitue l’énorme gap social entre le Don, et la pauvre Zerlina. C’est insupportable de voir, dans une mise en scène « traditionnelle », une bergère enrubannée à la Marie-Antoinette. Oui, ce gap, c’est exactement celui qu’il y a à l’heure actuelle entre le trader et l’agent d’entretien qui se glisse discrètement dans les bureaux au moment où ils sont censés être déserts. Quelle vérité aussi dans la représentation de Leporello, l’assistant avec un bac pro, au mieux un BTS qui déplore les malversations de son patron issu d’une grande école en crevant d’envie de faire pareil…. Alors, grand seigneur, oui, c’est difficile de l’être plus que Peter Mattei avec son élégance, sa prestance mais il ne manque pas de barytons qui soient quand même capables d’interpréter un Don Giovanni un peu aristocrate…. A la personne qui reprendra la mise en scène de l’exiger. Et elle reste insurpassable.
Quand un opéra est tiré d’un roman, le metteur en scène doit y revenir ; car les librettistes d’opéra ont tendance à l’édulcorer, pour plaire au public. Et pour ne pas déplaire aux puissants, à l’époque mozartienne. Mais le public a changé. Il n’a plus besoin de bibliothèque rose. Il veut Molière, Beaumarchais, Mérimée, Goethe…
Toutes ces digressions nous ont bien éloignés de Wagner et de Bayreuth. Wagner, c’est pain béni pour tous les délirants. Parce que les livrets sont suffisamment verbieux (je suis méchante….) pour ouvrir le champ des possibles ! Or, les très grandes mises en scènes n’ont été, ni classiques, ni choquantes. Elles se sont posé la question: qu’est ce qu’un dieu dans le monde moderne? qu’est ce qu’un héros? Naturellement Chereau est magnifique, mais n’oublions pas le Ring d’Harry Kupfer (mon préféré), parce que sa direction d’acteurs est extraordinaire, parce qu’Anne Evans avec ses possibilités limitées a été la plus belle, la plus forte, la plus Brünhilde des Brünhilde et que la sensualité de la Walkyrie, là encore avec des chanteurs relativement modestes comme Poul Eming était torride, enfin que son petit côté Mad Max, sa barbarie, c’était ça : c’était ça que j’attendais !QUELQUES IDEES JETEES EN VRAC….. QUI APPELLENT DES REACTIONS§
- Ce sujet a été modifié le il y a 8 ans et 1 mois par Anne HUGOT LE GOFF.
- Ce sujet a été modifié le il y a 8 ans et 1 mois par Anne HUGOT LE GOFF.
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3 mars 2017 à 13 h 24 min #1525
Je viens sur votre autre rubrique pour répondre à votre question sur mes Ring préférés et leur pourquoi. J’y lis que Christian Merlin a donné deux conférences. Aussi : « Sutor, ne ultra crepidam » je vais d’abord humblement me procurer son ouvrage Opéra et mise en scène avant de continuer et soit acquiescer ce qui le décevrait selon vos dires, soit, oserais-je ? Porter contradiction.
Avant d’être influencé :
Je classe les mises en scènes entre :
Les classiques au service d’une lecture simple.
Les joyeusement iconoclastes
Par exemple le Giulio Cesare /David McVicar/W. Christie
Les dont le sens m’échappe :
Pourquoi Lohengrin revient-il en portant au creux de ses mains jointes, sur un nid de plumes une demi-bottine deux tons à lacet remplie d’eau, qu’il vide d’un air pénétré très lentement ?
Les qui m’empêchent en plus d’écouter l’œuvre
Exemple Siegfried à Bayreuth : L’ours personnifié par un débile, passe et repasse derrière le chanteur pendant l’air de la forge de Nothung (modèle Kalachnikof.) et continue en faisant les poussières perché sur une échelle !
Pour rassurer ceux qui n’auraient pas eu la chance d’être à Bayreuth un panneau à l’entrée des vomitoires précisait que le bruit des détonations avait été calculé pour ne pas endommager l’ouïe,
Il n’était pas précisé si les résidus de poudre éjectés par le tir à blanc étaient toxiques.
On ne peut penser à tout. -
28 mars 2017 à 14 h 52 min #1626
Pour défendre Krzysztof Warlikowski, et vous faire maronner.
Par hasard, sur Mezzo, je suis tombé sur la fin de Don Juan.
Donna Anna chantait « non mi dir crudel…. ne dis plus, mon trésor que je suis cruelle avec toi »
Pendant qu’Ottavio se cache la tête dans son manteau de fourrure.
(……………..auto-censure………………………)
Il semble que Warlikowski ait tenté de rendre vraisemblable les roulades, vocalises, et autres ornements du chant, peut-on lui en faire grief ?
Je vous concède que je serais malgré tout gêné d’assister ce spectacle avec des proches.Ce qui m’amène à un curieux ouvrage de 1926 : Les opéras, les opéras-comiques et les opérettes ayant reçu l’approbation du Dr Leo MAHIEU, censor delegatus et l’imprimatur de H. R. QUILLET episc. Insumlem aux éditions de la « Revue des lectures ».
Dans lequel environ 300 ouvrages sont analysés.
Pour Wagner :
« Heureusement, à la scène, on ne comprend absolument rien : On ne goûte que la musique »
Ce qui reste parfois vrai !Pour la Carmen que vous verriez bien en jeans troués et multiples piercings
Leur conclusion est que :
2) les parents doivent veiller ……à ce que leurs grands et grandes n’aient pas à exercer leur talent sur des œuvres immorales.
3) …..les adultes ne se permettent l’audition de Carmen que s’ils sont assez bons musiciens pour négliger le texte rimé…Votre conception du personnage de Carmen, que je partage, les horrifieraient certainement.
Peut-être l’art n’est-il qu’une série de transgressions ?
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