Revoir le Parsifal de Syberberg

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Ce sujet a 1 réponse, 2 participants et a été mis à jour par  JP, il y a 7 ans et 1 mois.

  • #1697

    Anne HUGOT LE GOFF
    Modérateur

    Trente cinq ans après….. c’était une intéressante expérience que de revoir ce « film », intrinsèquement hétéroclite, réalisé par Hans-Jürgen Syberberg. Trente cinq ans après, et après le passage du rouleau compresseur de l’esthétique Regietheater qui s’est échinée à débarrasser l’œuvre de Wagner de toute composante mystique….
    Malheureusement, la copie sous-titrée en français qu’a pu se procurer le Balzac dans le cadre de son mini-festival Opera-film-art, la seule qui existe en France est –tout juste immonde ! La bande-son crisse et craque, ce qui fait que pendant les pianis on n’entend plus que les crissements et les craquements, et l’image a tourné (vous savez, quand on retrouve des vieilles photos des premières années de la couleur au fond d’un tiroir) : toute rouge ! Ce serait vraiment bien de disposer d’une bande restaurée. Le film en vaut la peine ! N’y a-t-il pas un riche amateur d’Opéra qui se mettrait sur le coup, maintenant que Toscan du Plantier nous a quittés ?
    A-t-il vieilli ? Oui, un peu. On est toujours entre le baroque délirant et les provocations un brin puériles : quand on traverse, pour rentrer dans la salle des chevaliers, un couloir décoré de drapeaux dont le drapeau nazi et celui portant la Croix de fer….. Ou quand le trône de Klingsor repose sur des marionnettes parmi lesquelles on reconnaît Nietsche, Marx… et quelques autres (je ne les ai pas tous identifiés). C’est que Syberberg, ce fils de la RDA, a tété l’esthétique brechtienne dans son biberon ! Il aime bien les marionnettes, aussi, des marionnettes un peu effrayantes qui miment l’action pendant le prélude.
    Et faut il promener une chose sanguinolente sur un coussin (la plaie d’Amfortas….qui vit ainsi sa vie indépendamment du malheureux) ?
    Les décors sont étranges, baroques, ostensiblement artificiels. Rochers, cañons, défilés, qui s’affichent de carton pâte, différents à chaque scène (les multiples filles –fleurs peuvent les habiter…elles n’ont pas grand-chose de fleurs d’ailleurs, plutôt guenilleuses, elles pourraient être dans les ruelles douteuses de quelque ville moyenne orientale), et parfois, en fond, un temple à demi-ruiné, à moins que ce ne soit un opéra…. ou ce qui pourrait être l’entrée de demeures troglodytes…..Un kaléidoscope rocailleux ; quand il y a un arbre, il est mort, et l’enchantement du Vendredi Saint ne se traduit que par une pauvre production maraîchère. Il y a aussi le masque mortuaire de Richard Wagner. Bon, le faciès du maître revient assez régulièrement dans le décor. On est dans la tête de Richard Wagner ce qui, compte tenu du fait que le grand Richard écrivait ses livrets, n’a rien de très révolutionnaire…. Difficile d’y échapper !
    La première chose qui est assez époustouflante, c’est la façon dont les acteurs chantent. Car oui, ils chantent, et même si la voix d’un vrai chanteur est substituée (ouf !) à leur voix propre, l’impression est bluffante. Oui, on oublie que ce n’est pas la voix de la belle, talentueuse, charismatique Edith Clever (l’égérie du cinéma allemand –et même d’ailleurs, rappelez vous La marquise d’O…. vous l’avez tous vu !- de ces temps) que nous entendons, mais bien celle d’Yvonne Minton. Cependant, deux personnages sont réellement interprétés par des chanteurs : Klingsor par Aage Haugland –magnifique voix, et surtout Gurnemanz par Robert Llyod. Dans cet étrange opéra qu’est Parsifal, le personnage principal –celui que l’on voit le plus- n’est en fait qu’un comparse, quelque chose comme le chœur antique qui commente l’action. Ici, on a un Gurnemanz jeune, beau garçon (de faux airs de Mastroiani sous certains angles !!), et dont la présence scénique, le poids, la dignité, le charisme sont exceptionnels. On regrette de ne pas avoir plus de témoignages filmés de cette basse, plus chantante que profonde, qui a pas mal fréquenté le répertoire wagnérien.
    Et puis, bien sûr, introducing… Armin Jordan dans une prestation inattendue en Amfortas très, très souffreteux. A part ça, c’est lui qui dirige, évidemment….
    Donc, bric à brac de références politiques, d’images aussi spectaculaires que fugaces car tout bouge tout le temps, mais une idée forte qui soutient le film. Parsifal est interprété par deux ados, un garçon, et une fille. Oui, là je reconnais que c’est un petit peu déstabilisant d’entendre la voix de Reiner Goldberg sortir de la gorge d’une très jeune fille, mais cela donne un troisième acte absolument bouleversant, parce qu’il me semble qu’on voit, enfin ! le VRAI Parsifal. Cette mince silhouette en robe blanche, elle nous convainc autrement que, heu, au hasard, Johan Botha (paix à son âme…). C’est la pureté, c’est la spiritualité…. On y croit ! De façon inattendue (je me répète, pour un ex-ressortissant de la RDA), Syberberg n’essaye pas de contourner le côté chrétien (au détriment, peut être, du côté bouddhique car Kundry, avec ses incessantes réincarnation, parfois séductrice, parfois presque une bête, est quand même un personnage bouddhique). Kundry, qui lave les pieds de Parsifal et les essuie de sa longue chevelure, c’est Marie Madeleine. Parsifal la baptise, avec l’eau d’une petite mare, tout comme Gurnemanz l’a, auparavant, baptisé. A la fin, l’ado-garçon et l’ado-fille qui ont interprété Parsifal se rejoignent et s’étreignent. On pense à ce mythe des identités séparées qui se cherchent pour reconstituer l’être parfait…. C’est beau…. Et fort.
    Il est vraiment dommage que Syberberg n’ait pas pu faire de mise en scène d’opéra. Il en rêvait : ça n’a pu se faire. Et il s’est toujours intéressé à la famille Wagner….. Entre les excès de la relecture et le classique barbant, Syberberg avait quelque chose à dire !

  • #1855

    JP
    Participant

    La plupart des décors du film de Syberberg proviennent de l’imagerie du XIXème siècle: on peut les ordonner selon deux critères: les uns sont les authentiques aquarelles ou peintures des décors de la première de Parsifal, les autres proviennent d’illustrations ou de peintures réalisées par des artistes du XIXème séduits par les sagas wagnériennes. C’est dire que le film réclame non d’être vu mais d’être lu, dans le sens d’une archéologie de l’imaginaire germanique de la période. Cette façon de faire dénote une ambition démesurée chez son auteur, car le cinéma devient avec lui un instrument d’exploration de la créativité des périodes révolues, lesquelles fondent jusqu’à l’histoire contemporaine (cf. les figures de nos propres démons, étalées autour du trône de Klingsor) . Donc, pas question ici de moderniser -ce à quoi on aurait pu s’attendre, s’agissant de « cinéma »- mais au contraire d’ouvrir sous nos yeux la malle contenant les images de référence de l’imaginaire de l’époque. La musique wagnérienne en gomme l’hétéroclite. Souvenons-nous, par exemple, de Boulez décrivant sa direction comme une volonté de ne pas gommer les différenciations qui existent dans le matériau wagnérien, trop souvent effaçées selon lui par les chefs traditionnels. Voilà pourquoi j’ai le sentiment d’être en présence avec Syberberg, d’une archéologie plutôt que d’une mise en scène, d’un méta-opéra cinématographique plutôt que d’une représentation. Et cela, qu’on le veuille ou non, c’est une nouveauté dans le champ du wagnérisme, qu’on peut mettre au crédit, je crois de Syberberg.
    Il se trouve que ce film est naturellement relié aux films précédents du cinéaste, et qu’on saisit plus facilement l’esprit de cette réalisation quand on a vu Requiem pour un roi vierge ou le monumental Hitler (l’utilisation des marionnettes dans la mouvance du texte de référence de Kleist, ou Titurel dépeint en Louis II, celui qui se sert du spirituel comme d’un bien propre, dévolu à sa survie personnelle, etc….)
    La question qui se pose est la suivante: Syberbeg n’est-il pas un utopiste, qui finit par composer un film sur la laine de Wagner, franchissant une limite que d’autres, qui n’ont ni sa culture ni ses scrupules ne se gênent pas de violer allègrement? Personnellement, je ne le crois pas, même s’il est sans cesse sur la corde raide. Et puis, pour une fois que le cinéma nous élève….. Est-ce si fréquent?

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