Dans le cadre du Cinquantenaire du Cercle National Richard Wagner – Paris,
le 5 mars 2016, à l’Opéra Bastille
Ce spectacle a eu de très bonnes critiques dans la presse, et il semble avoir ravi la plupart de nos invités. Personnellement, je reste plus réservée. Certes, le spectacle est sauvé par la musique : par Gerald Finley, tout d’abord, qui prête à Sachs toute sa subtilité de chanteur mozartien (même s’il se bat parfois avec l’orchestre) ; par le jeune (mais déjà très demandé) Brandon Jovanovich ; par les comprimari, à commencer par le Pogner de Günther Groissböck. Oui, mais qu’est-ce que cela nous apporte ? Quid de la mise en scène ?
C’est une comédie. Faut-il en faire une farce ? Faut-il qu’au deuxième acte, on ne voie jamais Beckmesser, mais Louis de Funès dans La Folie des grandeurs ? Bo Skovhus fait le job : il paye de sa personne, et se dépense sur le plateau, mais je l’ai préféré, sur cette même scène, au moment de la reprise de Billy Budd… Que dire de l’arrivée des sept nains de Blanche Neige, du Petit Chaperon Rouge et de son loup (les frères Grimm, valeurs de l’Allemagne éternelle), loup qui se révèlera, par ailleurs, sodomite… Car la grande bagarre qui termine l’acte prend ici la forme d’une partouze sous LSD. Le zoom, qui fait passer de la maison bourgeoise à un élément qui va devenir le nouveau décor, est certes techniquement bluffant, mais qu’est-ce que ça apporte ?
M’étant récemment intéressée de près à la conférence de Bernard Reydellet, j’ai cherché les thèmes profonds, voire mystiques, qu’il avait su voir dans cette œuvre. Inutile d’espérer les retrouver dans cette mise en scène. Par contre, la question qu’une mise en scène intelligente pourrait mettre en exergue est celle-ci : le Wagner de 1868 est-il devenu un bourgeois bien comme il faut ? Que reste-t-il du jeune exalté de Dresde ? Car, dans toute l’œuvre wagnérienne, cet opéra est le seul qui puisse affronter la question, puisque c’est le seul qui les mette en scène, ces bourgeois. À première vue, les maîtres, c’est le triomphe de Madame Merkel, ce sont ces industrieux qui représentent la force de l’Allemagne contemporaine (ceux qu’on croise à Bayreuth), qui conçoivent les loisirs quand ils sont culturels, qui admettent le changement s’il s’enracine dans une solide tradition, et qui, pas plus que les fainéants, ne supportent les aristos ramenards – faut voir comme Walther se fait moucher par Sachs quand il dédaigne la pelisse d’honneur offerte par Pogner !
Et Sachs lui-même est-il un bourgeois ? Il est artisan bottier, le Berluti de Nuremberg, quoi. Mais il a de la compassion pour le peuple. Et (deux cent ans avant La Nouvelle Star), il pense que ce peuple a, lui aussi, le droit de s’exprimer ; et qu’il devrait, lui aussi, voter pour désigner le vainqueur du concours ! C’est révolutionnaire, non ? C’est pourquoi il deviendrait facilement le porte-parole de ce peuple. Mais le sage Sachs n’a pas une âme de tribun. Ce n’est ni Boccanegra, ni Rienzi. Il sait où est sa place. De même que, devant Eva, il sait quel est son âge. En Sachs, il y a du socialiste, mais du socialiste assagi. Donc, ce qui est surprenant, ce n’est pas que Wagner ait écrit une comédie. Tout le monde écrit une comédie, un jour ou l’autre, même le pontifiant Corneille en a commis une ! C’est que ce grand défenseur de la démesure, de la passion, se fasse ici le chantre de la sagesse, et de l’amour… dans le mariage.
Anne Hugot Le Goff