Le 23 juin 2018, Innsbruck, Tiroler Landestheater
Rienzi, ou la chute d’un tribun…
Tout bon wagnérien sait que Rienzi fait partie des trois opéras de jeunesse de Wagner, avec Les Fées et La défense d’aimer, plus ou moins reniés par le compositeur, et jamais joués au Festspielhaus de Bayreuth. C’est donc une aubaine quand un théâtre propose de l’adapter. On se souvient de la réalisation réussie du Rienzi de Berlin en 2010, inspiré du Dictateur de Chaplin, jouant avec le globe du monde.
C’est une histoire complexe de vengeance, d’amour déçu, d’honneur, de gloire et de doutes. Le metteur en scène, Johannes Reitmeier, intendant du Tiroler Landestheater, a situé l’histoire dans un cadre non spécifié du XXe siècle. Dans des dégradés de gris, les décors, conçus par Thomas Dörfler, sont composés de trois tours, réunissant les styles antique des tribuns, du Moyen Âge et de l’architecture fasciste du XXe siècle. Pivotantes, ces tours permettent des changements rapides de lieux.
Pour le metteur en scène, Cola Rienzi est obsédé par l’idée de devenir empereur, et, pendant toute l’ouverture, il apparait habillé en Napoléon, dont l’image est projetée, à plusieurs reprises, sur le tulle de scène. Il est en bataille constante avec sa sœur Irène pour savoir s’il lui faut prendre la couronne d’empereur. Rienzi est un démagogue, qui profite de la situation anarchique pour s’établir comme dictateur des temps modernes, sorte de « Duce » coiffé du béret rouge, aimé de son peuple, qu’il fanatise par ses dons oratoires, qui le conduisent à une ascension vertigineuse. Il se nomme d’ailleurs le « tribun du peuple ». Peu à peu, il va être déchiré entre son idéalisme et sa dangereuse fantaisie de pouvoir, et perdre le sens des réalités. Il va se retirer dans un monde de plaisirs et de fêtes, et, devant sa conduite, le peuple va se retourner contre lui, en lui enlevant sa confiance et son appui, ce qui sera le début de sa chute. Les rassemblements politiques du peuple révolutionnaire brandissant des drapeaux rouges sont fréquents, dans cette production. L’Église de Rome est aussi très présente, avec les interventions du cardinal Raimondo, légat du Pape, des cierges projetés pendant la prière du héros, et une apparition surprenante de religieuses en infirmières. Les nobles Colonna et Orsini sont présentés comme des parrains de la mafia, armés de couteaux et de révolvers, de longs manteaux et borsalinos, encadrés par des gardes avec mitraillette (procédé récurrent chez de nombreux metteurs en scène). Irène, la sœur de Rienzi, a une admiration et une fidélité sans bornes pour celui-ci, et ne pourra répondre à l’amour d’Adriano. L’attraction profonde qu’elle éprouve pour son frère, quasi incestueuse, la conduira à sacrifier son amour pour Adriano et sa vie. Adriano est en perpétuel conflit avec lui-même, partagé entre cet amour et celui pour son père, Colonna, l’ennemi de Rienzi.
Pour incarner ces personnages torturés, il fallait des interprètes de qualité. Le ténor américain Marc Heller est le grand titulaire du rôle inchantable de Rienzi, qu’il a déjà interprété à Toulouse. Il lutte constamment pour maintenir la ligne vocale, mais il faut lui reconnaître une formidable endurance dans ce rôle épuisant, même si ses aigus percutants sont parfois désagréables. Sa prière de l’acte V, air mal placé dans la partition, alors que le chanteur est déjà fatigué à ce stade de l’opéra, est plutôt réussie et émouvante. La mezzo canadienne Jennifer Maines est la grande triomphatrice de la soirée, dans le rôle d’Adriano. Elle a reçu, en 2015, le Österreichischer Musiktheaterpreis pour son interprétation du rôle de Kundry. Avec une fabuleuse technique, une voix puissante et expressive, d’indéniables dons d’actrice et un physique avantageux, elle est un merveilleux Adriano, plein de doutes et de fureurs. Sa partenaire, la jeune Josefine Weber, (Irène, la sœur de Rienzi) m’a moins convaincue. Son soprano est puissant et clair, mais souvent criard. La jeune basse Johannes Maria Wimmer, déjà distingué lors du concert d’ouverture du congrès, était un excellent Colonna, père d’Adriano.
Il est remarquable qu’un théâtre comme celui d’Innsbruck arrive à ce niveau d’excellence, même si l’orchestre est inégal et marque des faiblesses, surtout pendant la longue ouverture. Il y a de merveilleuses textures musicales, et le chef, Lukas Beikircher, premier Kapellmeister à la Deutsche Oper am Rhein de Düsseldorf, imprime une dynamique à ses musiciens jusqu’au dénouement.
C’est la même équipe qui réalisa l’opéra Les Fées à Kaiserslautern. Cette production du Tiroler Landestheater plaide en faveur d’une considération plus sérieuse de Rienzi, cet opéra trop souvent délaissé de Wagner.
Chantal Barove
Merci à Stefan Adler pour sa traduction du programme.