Il n’est aucun voyage plus important pour un wagnérien que de se rendre à Bayreuth pendant le Festival et il n’est point de mots suffisamment forts pour exprimer sa gratitude envers ceux qui vous y ont donné accès durant votre jeunesse.
En tout premier lieu, je tiens à souligner la formidable organisation de l’accueil des boursiers venus de tant de pays différents. Les logements dont nous bénéficiions à l’internat étaient très bien aménagés (chacun avait ses meubles personnels munis de fermeture à clé ainsi que son propre lavabo), d’autre part, nous étions véhiculés au Festspielhaus par un bus privé, ce qui était fort appréciable.
Musicalement parlant, les trois représentations furent magistralement dirigées par deux chefs d’orchestre de personnalité fort différentes. Pappano, chef lyrique que l’on sait, dirigea Lohengrin (grand opéra romantique) et Thielemann se chargea des Maîtres Chanteurs et Parsifalavec toute sa ferveur pour la musique germanique.
Nous entendîmes également quelques voix véritablement wagnériennes telles que, dans Lohengrin, Peter Seiffert (rôle titre), la séduisante Mélanie Diener (Elsa) et le couple Oskar Hillebrandt/Linda Watson (Telramund et Ortrud) dont les interventions, au deuxième acte notamment, furent exceptionnelles. Si l’on peut dire aisément que la représentation des Maîtres Chanteurs a été homogène, traditionnelle et fort plaisante à écouter, bien que les tempi auraient gagné à être plus allants, il n’en est pas de même pour Parsifal où la voix étincelante de Violeta Urmana (Kundry) et le génie musical de Christian Thielemann se retrouvèrent placés aux côtés d’un Andreas Schmidt (Amfortas) fatigué et de Poul Elming (Parsifal) qui seraient certainement plus à son aise dans un répertoire plus léger.
Au niveau des mises en scène, assez conventionnelles dans l’ensemble, je dirais que celle de Keith Warner pour Lohengrin avait des effets flamboyants (descente automatique du choeur de soldats en armes jusqu’à la moitié de la hauteur de la scène), celle des Maîtres par Wolfgang Wagner était extrêmement chatoyante de par la beauté de ses photographies dont il s’est servi en toile de fond et très contrastée (réduction de la scène du Festspielhaus au seul foyer de Sachs, le reste de la scène étant entourée de noir suivi de l’immense finale où toute la scène s’éclaire à nouveau avec un magnifique fond de verdure) et enfin, celle de Parsifal (également par W. Wagner) très dépouillée, avec cependant des éclairages sur cristaux de roche très subtils (bleu, violet, mauve…) s’harmonisant admirablement à la musique si particulière de cet ultime drame.
Avant chacune des trois représentations, nous avions droit à une conférence donnée par un pianiste wagnérien, Stefan Mikisch, au sujet de l’opéra du jour. Elles furent toutes trois fort intéressantes et rendues ludiques par leur ponctuation musicale au piano. Mikisch excelle dans l’art de transcrire l’œuvre wagnérienne sur son instrument; je ne pensais pas pouvoir entendre un jour jouer le quintette des Maîtres Chanteurs sur un simple clavier avec autant d’émotion, il est en droite ligne de Liszt, son illustre prédécesseur dans cette discipline pianistique.
Cependant, malgré toutes ces merveilles musicales, je crois que le plus émouvant est de se trouver dans les lieux où Wagner a vécu ses plus belles années, épargné de tout souci bassement matériel. Lorsque l’on est face à la villa Wahnfried ou au Festspielhaus on a le sentiment de contempler la concrétisation des aspirations de toute une vie de labeur et de luttes à l’édification d’un monde artistique personnel et inspirant la reconnaissance. On est heureux pour lui, à voir tout ce qu’il a obtenu de son vivant et on ressent par la même occasion un peu de peine pour les autres compositeurs qui n’ont pas eu cette chance.
En conclusion, je pense sincèrement que ce séjour à Bayreuth comptera parmi les étapes majeures de ma carrière pianistique et journalistique dont elle restera sans aucun doute l’une des plus merveilleuses.
Je ne peux que renouveler mes remerciements les plus vifs à l’ensemble des membres du Cercle National Richard Wagner et me réjouis que cette disposition comblera encore d’autres jeunes artistes.
Laurent Proteau