Départ, un soir d’août, pour le voyage de nuit vers Bayreuth. Long et fastidieux. Lecture de Nietzsche. Arrivée dans la sainte ville, grise, quelconque. Les étudiants, attendus, subissent un long discours dont je ne saisis presque rien. Nous sommes nombreux, venant du monde entier. Nous logeons dans un internat en banlieue de ville. Je partage ma chambre avec un Espagnol. Un car conduira nos allées et venues vers le théâtre. Premier soir : Parsifal . Émotion à l’écoute du prélude initial dans la pénombre, la magie de l’acoustique laisse les bruits du public à l’ineffable. Mais le spectacle demeure médiocre par sa mise en scène. Le lendemain, pas de concert. Déambulations dans les jardins. Visite du théâtre et des maisons de Wagner et Liszt. Les demeures sont chacune à l’image des compositeurs. Le jour suivant, après la longue montée vers la colline, cérémonial teinté de ridicule chez certains, j’entends Tannhaüser. Si la mise en scène est un peu fade par son classicisme et la distribution un peu faible, les chœurs et les fins d’acte font toujours leurs effets.
Dernier jour, dernier spectacle. Les Maîtres Chanteurs par Katharina Wagner. Sifflée, huée, conspuée ; l’arrière-petite-fille du grand Richard se souviendra de ses premiers pas sur la scène de Bayreuth. Sa mise en scène des Maîtres Chanteurs de Nuremberg a fait scandale, même les coussins se sont retrouvés sur la scène à la fin du spectacle ! Mais ce soir là, vivant une bataille d’Hernani, toute une partie du public criait aussi bravo ! Agaçante, la belle Katharina Wagner ne respecte rien : les chanteurs sont des peintres, le cordonnier s’occupe d’une machine à écrire, les anciens deviennent ici les modernes, les Maîtres Chanteurs des masturbateurs… relecture totale. Provocante, vulgaire mais intelligente et inventive ; la vision de Katharina séduit par son engagement. Parce qu’elle n’a pas oublié que l’œuvre de son aïeul est une comédie (et que tout semble ainsi permis), l’arrière-petite-fille ne prend que libertés. Les idées et les messages fusent : critiques des mises en scène trop classiques, clins d’œil aux techniques modernes et trouvailles pour l’acte final. Aucun temps mort pour un spectacle efficace et vivant. Cependant, il me semble que le véritable scandale de cette production revient plutôt à la distribution vocale avec un Hans Sachs (Franz Hawlata) épuisé vocalement et une Eva (Amanda Mace) à l’intonation très douteuse. Et l’orchestre, sous la direction de Sebastian Weigle n’est pas irréprochable de mise en place. Bayreuth n’a donc pas fini de diviser son public (ancien et moderne) ; seuls les trompettistes, sur le balcon du théâtre et annonçant le début d’un acte, restent imperturbables du haut de la sainte colline. Je prends mon train le lendemain. Paris m’attend.
Rodolphe Bruneau-Boulmier