Un voyage à Bayreuth
« Bayreuth ». Ce nom évoquait, pour moi, le lieu mythique, et un peu irréel, inaccessible rendez-vous de mélomanes wagnériens passionnés. Grâce au Cercle Wagner de Paris, j’ai pu, moi aussi, faire ce « voyage à Bayreuth ». Je dois avouer qu’à part un grand nombre d’enregistrements historiques du festival écoutés et réécoutés, analysés, étudiés et comparés lors de ma monomanie tétralogique pour préparer Rheingold, l’été dernier, je ne connaissais pas grand-chose du festival et de ses usages.
Après un vol, assez rapide, jusqu’à Nuremberg et la visite de la ville, son château et ses églises, je suis arrivée à Bayreuth. Le séjour, en tant que boursière, m’a permis de rencontrer un grand nombre de jeunes musiciens, chanteurs, chefs d’orchestre et metteurs en scène, et de mettre en pratique une année intensive de cours d’allemand. Ces rencontres ont été riches par leur diversité et l’ambiance sympathique entre les boursiers.
La Stipendiaten Académie 2016 a débuté, le lendemain de notre arrivée, par un cocktail de bienvenue au… Walhala, puis par la visite du Festspielhaus. La salle, étonnante de sobriété, est entièrement dédiée à l’Art, sans décorum superflu. Le moment le plus intéressant a été la visite de la fosse. Elle est certes « couverte », mais cet effet est surtout visuel, afin de rendre l’orchestre invisible aux spectateurs. L’effet acoustique provient sans doute plus encore de sa profondeur étonnante, sous la scène, et de la disposition très spécifique de l’orchestre, voulue par Wagner. Le son orchestral est ainsi très spatialisé, avec une inversion entre violons 1, à droite, et violons 2, à gauche, les alti devant le chef. Les basses de l’orchestre et les cuivres sont ainsi « reculés » assez profondément, de plusieurs mètres sous la scène. Cette disposition donne un confort pour l’équilibre entre l’orchestre et le plateau, dont nous avons pu profiter, le soir même, en écoutant Der Fliegende Holländer, puis Parsifal et Götterdämmerung, les deux soirs suivants.
Chaque journée débutait par une conférence sur la représentation du soir, puis, après un déjeuner en ville, nous remontions vers le Festspielhaus et ses jardins, via un chemin balisé par des nains de jardin Wagner indiquant la direction de la montagne sacrée… Humour allemand.
Que dire des trois représentations ? Faut-il donc parler ou écrire sur une expérience que les mots ne pourront que réduire ou rendre si pauvrement ? J’ai été saisie, dès les premières notes du Holländer, par la sonorité de l’orchestre, rendue souterraine, presque irréelle, par la fosse et l’acoustique. L’orchestre et le chœur sont absolument exceptionnels. La mise en scène, bien que huée, car l’action se situait dans une usine de ventilateurs, était très juste, et en accord parfait avec la musique. Chaque geste ou effet scénique était justifié par un motif musical. Cette mise en scène, exemple parfait de « Regie Theater », donne à voir la musique, et peu importe finalement si, en matière de bateau, on ne voit qu’une barque au milieu de cartons.
La nouvelle production de Parsifal, transposé dans une église de Mossoul, était vraiment très belle. Communauté chrétienne (Chevaliers du Graal), soldat américain (Parsifal), idolâtre (Klingsor), ou femmes se débarrassant de leurs burqas (filles fleurs) évoluaient dans cette église reconstituée, sous l’œil attentif d’un personnage énigmatique. Dieu ? Au moins la figure du témoin qui témoignera, pour l’Histoire, de la folie des hommes. Pour le Götterdämmerung agité de Castorf, le seul défaut de la mise en scène semblait être… la musique. Le manque de contact avec le texte musical conduisait à une grande agitation sur scène et à la difficulté de se concentrer sur la musique. Que les membres du Cercle Wagner me pardonnent, j’ai terminé la représentation derrière l’une des rares colonnes, afin de profiter de la musique. Le réalisateur de cinéma Francis Ford Coppola, rencontré à l’entracte, avec quelques boursiers, se lamentait de ne voir ni château, ni Rhin, etc.
Les plateaux vocaux étaient de très grande qualité. Le chœur surtout était exceptionnel, je n’avais jamais auparavant entendu une telle qualité de chœur à l’opéra. Inoubliables ténors dans Le Hollandais, superbes Senta de Ricarda Merbeth et Hollandais de Thomas J. Mayer. Je n’oublierai jamais la Kundry d’Elena Pankratova et le Gurnemanz de Georg Zeppenfeld. Pour Götterdämmerung, excellents seconds rôles, vaillants Stefan Vinke en Siegfried et Catherine Foster en Brünnhilde, superbe Marina Prudenskaya en Waltraute. L’orchestre, excellent avec Axel Kober, s’est dépassé, dans Götterdämmerung, sous la direction passionnée de Marek Janowski, après une interprétation intelligente, mais un peu sage, de Parsifal avec Haenchen.
Je suis revenue de Bayreuth… littéralement wagnérienne des pieds à la tête ! Pour tous ces souvenirs inoubliables, je remercie, très sincèrement, tous les membres du Cercle Wagner de Paris et leur présidente, Annie Benoit.
Virginie Dejos