Conférence donnée par Guy Cherqui,
le 21 septembre 2020, au Cercle National Richard Wagner – Paris
La mise en scène est une caractéristique de la critique qui nous est contemporaine. Elle suscite l’admiration comme la haine. Depuis la naissance de l’opéra jusqu’à la mise en place de l’électricité sur le plateau, la mise en scène était un élément peu important d’une production. L’électricité a permis la mise en valeur des volumes, et donc les décors en trois dimensions, et non plus en toiles peintes.
Il faut rappeler qu’à l’origine de l’opéra, avec Monteverdi au XVIe siècle, les artistes veulent réaliser leur idéal grec, c’est-à-dire la tragédie grecque qui allie le texte, le chant et la danse. Le texte est la valeur essentielle, avant la musique, et cette idée est reprise par Gluck, puis par Wagner, avec le Gesamtkunstwerk. Aussi, la mise en scène théâtrale est une donnée cohérente avec la vision de l’opéra.
Avant 1951
Richard Wagner était le premier à ne pas être satisfait de la mise en scène et des décors de sa tétralogie de 1876 à Bayreuth. En revanche, une tradition est conservée, avec Cosima, puis Winifred Wagner. Néanmoins, deux nouveaux courants esthétiques cohabitent : l’abstraction, avec Adolphe Appia, et le naturalisme, avec Alfred Roller.
Adolphe Appia, décorateur et metteur en scène suisse, épure les lignes et joue sur la lumière et l’ombre pour mettre en exergue les décors et les personnages. Alfred Roller, scénographe autrichien dans le mouvement de la Sécession viennoise, poursuit, de son côté, une tradition naturaliste. Il crée une scénographie de Tristan en 1903, sous l’impulsion de Gustav Mahler.
Le « neues Bayreuth » : Wieland et Wolfgang Wagner, et leurs successeurs.
Afin de s’éloigner de la période troublée du nazisme, notamment à Bayreuth, les frères Wagner souhaitent modifier totalement l’esthétique des mises en scène. Wieland Wagner va alors s’inspirer d’Appia, en offrant avec audace des décors minimalistes, des mises en scène symbolistes et des jeux de lumière admirables. Heiner Müller et Robert Wilson s’inspireront du travail de Wieland pour leurs propres créations, et Romeo Castellucci est également dans cette même veine.
Parallèlement, Alfred Roller fait des émules, avec Emil Preetorius, qui continue dans le naturalisme traditionnel, de même que Günther Rennert, Otto Schenk, Tankred Dorst ou Robert Lepage. Wolfgang Wagner va reprendre l’abstraction d’Appia, mais sans rester insensible au réalisme ; il pratique une véritable synthèse des deux esthétiques. À sa suite, August Everding et Dieter Dorn poursuivent cette vision, moderne mais qui ne choque pas.
L’héritage brechtien
Bertolt Brecht, en rupture avec l’héritage et la tradition dramatiques, place « la distanciation » au centre de sa vision théâtrale. Cela suscite des vocations auprès des metteurs en scène d’opéra. En Italie, Giorgio Strehler et Luca Ronconi s’en inspirent dans leurs productions. Mais c’est surtout le Ring du centenaire de Patrice Chéreau, sous la baguette de Pierre Boulez, qui révolutionne la mise en scène bayreuthienne. Cette mise en scène scandalise alors le public.
C’est le début de l’ère du « Regietheater » à Bayreuth, qui provoque, année après année, des critiques acerbes. Ruth Berghaus, Götz Friedrich, Harry Kupfer, Hans Neuenfels, Jürgen Flimm, Stefan Herheim, Frank Castorf ou encore Sebastian Baumgarten proposent des visions intéressantes, plus ou moins abouties et appréciées, mais qui ne laissent pas la critique insensible.
Néanmoins le Festival de Bayreuth est, en Allemagne, le lieu et le reflet de la création artistique. Guy Cherqui a démontré que, malgré la polémique, la mise en scène permet une évolution de la pensée, puisque ce qui pouvait paraître en 1960 révolutionnaire et outrageant, devient progressivement une mise en scène classique.
Cyril Plante