Accueil › Forums › Forum › Quand les chanteurs doivent lutter contre la mise en scène… LE PRINCE IGOR
Ce sujet a 0 réponse, 1 participant et a été mis à jour par Anne HUGOT LE GOFF, il y a 4 ans et 11 mois.
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2 décembre 2019 à 16 h 14 min #2528
Allez, encore un metteur en scène à inscrire sur la liste noire! Un de plus! Pourtant, il me semblait que Barrie Kosky avait fait des trucs pas mal….
Nonobstant, il faut aller voir Le Prince Igor: pour le personnage torturé de ce petit frère de Boris Godounov (à condition de ne pas le ridiculiser comme c’est le cas dans cette production); pour la musique. Certes, elle est moins âpre et grinçante que celle de Moussorgsky; mais elle recèle bien des beautés, comme cette longue ouverture du 4e acte (qui, si j’ai bien compris, devrait en réalité être le 5e.) On passe des tonitruances berlioziennes à l’élégance de Tchaïkovski ou au lyrisme de Verdi, et avec une orchestration aussi riche qu’originale. Le public l’a bien senti, qui a fait après cette ouverture une ovation à l’orchestre et à son chef, comme je l’ai rarement entendu! Je me demande pourquoi on ne joue pas plus souvent cette ouverture en concert.
Une autre bonne surprise est le ballet (chorégraphié par Otto Pichler). Point de folklore russe, mais un joyeux mélange de squelettes mexicains, de ballerines portant un masque cornu, de somptueux kimonos style théâtre No, sautant et bondissant sur un rythme d’enfer et, oh surprise, cette musique archi-connue, qu’on a l’habitude d’entendre sonner un peu mièvre, prend un relief qui évoque le Sacre du Printemps! Là encore, je pense qu’on doit beaucoup à Philippe Jordan, qui décidément va bien nous manquer…..
Le problème, c’est qu’Alexandre Borodine est mort avant d’avoir composé un opéra. Et que le bon Rimski-Korsakov, grand retapisseur des oeuvres inachevées des amis, même s’il s’y est mis avec Alexandre Glazounov, n’a pas réussi à faire autre chose qu’un collage d’actes hétéroclites. Des personnages apparaissent…. disparaissent…. éventuellement réapparaissent. Alors, le travail d’un metteur en scène (mais y avait il un metteur en scène dans l’avion?) aurait été de trouver le fil conducteur permettant de restituer une unité à l’oeuvre. On en est très loin….
Cela commence pas mal. Le rideau s’ouvre sur le trône du prince, dans une étroite chapelle orthodoxe toute dorée. Mais pourquoi le malheureux n’arrive t-il pas à se mettre debout? Pourquoi se gratte t-il, faisant exsuder un pus noirâtre? S’est -on trompé d’opéra? Est ce Amfortas? Comme Boris, Igor finira dévoré de culpabilité. Boris a porté malheur à la Russie à cause de son forfait qui a attiré sur son peuple la malédiction du ciel. Igor se révélera un mauvais chef de guerre, conduisant ses soldats à la mort alors que lui même, honte suprême, est vivant. Mais, au premier acte, on n’en est pas encore là…..
Le deuxième acte, qui tombe, à peu près autant que l’acte polonais de Boris, comme un cheveu sur la soupe, c’est celui du prince Galitski. Beau frère d’Igor -le frère de son épouse Iaroslava, il a pris le pouvoir pendant que celui ci guerroie contre les barbares, brute avide qui règne sur une cour de mercenaires dépravés, réjouissances très homo-friendly autour d’une piscine et d’un barbecue. La brute adore violer les jeunes filles. La dernière en date, dont on nous montre complaisamment les cuisses maculées de sang, semble de plus appartenir à une communauté de nonnes.
L’acte suivant nous conduit chez les polovtsiens, barbares animistes d’origine turque, où Kontchak tient prisonnier Igor et son fils Vladimir. Mais point de turquerie: nous sommes dans un affreux sous sol où pendent des fils électriques (gégène?) et où les deux hommes croupissent, menottés par un pied. Peu importe si Igor voit le crépuscule tomber sur la steppe: nous on ne voit que des murs éclaboussés de sang. Plus choquant: alors que Kontchak ne cesse de dire qu’il tient son prisonnier en estime et est prêt à le relâcher s’il s’engage à ne plus combattre contre lui, la mise en scène suggère exactement le contraire. Pendant ces aimables paroles, Kontchak bourre de coups de pied son prisonnier à terre, suggérant que les paroles mielleuses sont juste un raffinement de sadisme…. Pourquoi pas? Mais comme il donnera ultérieurement sa fille Kontchakovna en mariage à Vladimir (car oui, nous avons aussi nos Roméo et Juliette dans ce gloubi-boulga scénaristique!), cette hypothèse ne tient guère la route. Mais le plus gênant, c’est que Polovtsiens et prisonniers sont tout vêtus de treillis et de débardeurs loqueteux, informes, maculés de tout ce qu’on veut et que le traîner-par-terre est la seule posture qui convienne à Kosky. On a vraiment pitié des malheureux chanteurs en les voyant ainsi ramper comme des larves….
Et ça ne s’arrange pas pour le finale, qui se passe sur une bretelle d’autoroute. Tiens, j’en avais déjà vu une dans une pitoyable Damnation de Faust à Lyon. Est ce la même recyclée…. Mais cela permet à Iaroslava qui a fuit son horrible frère de se présenter tirant son caddy, encombrée de sacs en plastique, façon Zezette dans « le père Noêl est une ordure ». Passera aussi par là Igor, qui a pu s’enfuir grâce à la complicité d’Ovlour, un semi-débile bourré de tics qui évoque beaucoup l’innocent de Boris. Ce qui permet encore une une bien belle image: Iaroslava-Zezette regardant l’horizon, et voyant venir vers elle un « beau cavalier à la noble stature qui ressemble à son époux….. » alors que le malheureux est là, à côté d’elle, se tortillant pas terre dans son treillis maculé…
La vraie bonne idée, sans rire, c’est cette scène finale où c’est l’innocent Ovlour, vêtu de la redingote d’Igor, qui se fait applaudir par le peuple….
Oublions vite cette mise en scène ridicule, et retenons l’essentiel, la musique, et les choeurs, ces choeurs qui chantent magnifiquement toute la misère du pauvre peuple russe….. retenons Philippe Jordan, et retenons une distribution de tout premier ordre. Les plus petits rôles sont parfaits -festival de basses russes! Le déserteur Skoula: Adam Palka, compagnon de débauche de Galitski; celui ci: Dmitri Ulyanov; Dimitry Ivashchenko, dans le bref rôle de Kontchak; le ténor d’Ovlour: Vasily Efimov. Tous à l’aise en scène, drôles quand il le faut, terrifiants si nécessaire…. Ildar Abdrazakov nous fait un peu peur en abordant le premier acte d’une voix exagérément trémulante, mais on est rassuré au troisième. Mais c’est avant tout un festival de dames! le phénomène Anita Rachvelishvili, l’ébouriffante, avec sa voix si sombre dans les graves qu’on ne sait plus, les yeux fermés, si c’est l’homme ou la femme qui chante…
Et puis, Elena Stikhina, la toute jeune qui espère renvoyer au tricot la Netrebko et la Yoncheva. A trente trois ans, elle n’a plus rien à apprendre, avec en plus la beauté, la grâce, la vivacité, et un naturel en scène que notre chère Anna n’aura jamais. Elena Stikhina, je la suis depuis La Force du Destin….. il parait quelle a déjà chanté Senta et Brünnhilde. Les wagnériens vous attendent, belle Elena….
Bref, c’était quand même une soirée qui en valait la peine, pour tout son aspect musical. pour le reste….
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